Cycle des brèches (6)
6- Le rêve ?
Irina s’éveilla en sursaut. Sa chambre baignait dans la pénombre. Elle s’était endormie en travers du lit, sans se soucier des draps brûlés. Son corps la faisait souffrir le martyr. Elle avait l’impression d’avoir été écrasée par un semi-remorque. Qu’est ce qu’elle avait bien pu faire pour se mettre dans cet état ? Ce n’est qu’alors qu’elle se rappela la nuit précédente, sa course effrénée dans Paris, les “damnés”, Nathaniel…
Elle se leva avec difficulté, tentant de rassembler ses idées. Sa tête semblait sur le point d’exploser. La pauvre jeune fille se traîna hors de sa chambre, jusqu’au salon, où elle s’effondra sur son canapé. J’ai l’air misérable… Comment donc avait elle réussi regagner son appartement dans cet état ? Elle était épuisée à la fois physiquement et mentalement, sa mémoire tentant de recoller les fragments de la soirée précédente, sans arriver à croire ses souvenirs qui refaisaient lentement surface. Cela défiait la logique… Elle eut un frisson en se remémorant le visage blafard du damnés, ainsi que ses yeux d’un vide sans fond. Irina se décida alors à appeler Mika, autant pour prendre de ses nouvelles que pour lui demander son avis sur les évènements récents.
Après avoir échangés quelque banalités concernant sa maladie ( une mauvaise grippe semblait il), Irina se décida à raconter ses mésaventures nocturnes à son ami, qui l’écouta étonnamment jusqu’au bout sans l’interrompre. Elle aurait cru qu’il en serait au moins surpris, ou qu’il croirait à une plaisanterie… Était elle donc devenue folle au point que la voir débiter une histoire de massacre et de damnés soit aussi banal ?
“Écoute, répondit enfin Mika, je ne sais pas si c’est la fièvre qui me fait délirer ou si j’ai bien entendu ce que tu viens de me dire, mais je crois que tu devrais te calmer. Si tu veux mon avis, ce ne doit être qu’un autre rêve, mais dans le cas inverse, ce serait une bonne nouvelle, non ?
-
Je dois manquer d’optimisme, rétorqua t’elle, mais j’ai du mal à voir le positif de la situation.
-
Et bien si ce Nathaniel est encore en vie comme tu semble le dire, tu pourrais enfin avoir les réponses que tu cherches non ?
-
Oui mais…”
Sans lui laisser le temps de finir sa phrase, Mika lui raccrocha au nez. Ça alors… Mika n’avait jamais été aussi froid envers elle depuis qu’ils se connaissaient. Il avait toujours été son appui indéfectible, peu importe les circonstances. Elle devrait sans doute aller s’excuser une fois qu’il irait mieux…
Se décidant à suivre son conseil, Irina décida de faire preuve d’optimisme, et décida de sortir un peu. Après s’être habillée à la hâte, elle passa la porte de son appartement dans la précipitation, dévalant les volées de marches. Elle se retrouva dans la rue en un instant et prit une profonde inspiration, remplissant ses poumons d’air son coeur de détermination. Elle allait découvrir la vérité.
Irina chercha d’abord un moyen de revenir dans cette sombre ruelle afin d’y collecter des informations. Malheureusement, elle n’arriva pas à retrouver son chemin dans les dédales de la grande métropole. Après avoir ainsi erré au hasard pendant plus d’une heure, elle décida de prendre un peu de repos et alla s’installer dans un bistrot. Après avoir commandé un café comme à son habitude, elle commença à réfléchir. Il lui fallait une piste, aussi mince soit elle. Machinalement, elle commença à pianoter sur la table. C’est alors qu’elle entendit une voix chuchoter dans son oreille: “ Je t’ai manqué ?”
Après l’avoir entraîné dans une impasse derrière le bistrot, Irina se tourna vers Nathaniel et lui reprocha:
“Mais où était tu passé ? J’ai cru que j’allais devenir folle.”
-
Je voulais te laisser dormir un peu, se défendit il, la reconnaissance c’est pas ton truc, si ?
-
Reconnaissante ? Je te cherche depuis une heure ! Tu trouves ça drôle de me laisser me paumer comme ça ?
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Je dois avouer que c’était plutôt marrant, continua t’il, A ce propos, tu sais que tu est passé trois fois par la même rue ?”
-
Et tu n’aurais pas pu te montrer plus tôt ? Je te cherche depuis ce matin !
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Je voulais être sûr avant de me montrer, dit il.
-
Sûr de quoi, de me rendre folle ? Parce que je t’assure que tu es sur la bonne voie.
-
A vrai dire je voulais être sur que tu cherchais vraiment des réponses avant de te les donner”
Irina se contenta de soupirer. Comment pouvait elle espérer discuter avec lui si il passait son temps à se moquer d’elle ? S’étant adossé contre le mur, il la regardait d’un air légèrement amusé et curieux. Il portait le même manteau noir que la veille, par dessus un t-shirt de la même couleur. La poignée d’une épée dépassait dans son dos. Il semblait paré pour la guerre.
“A ce propos tu ne m’as toujours pas dit qui tu étais ni pourquoi tu m’avais sauvé.
-
Et bien je crois que tu sais déjà qui je suis, non ?
-
Tu sais ce que je veux dire, insista Irina, tu es différent des autres n’est ce pas?
-
Et bien…
-
Tu as dit que tu allais répondre à mes questions, je te rappelle ! Et puis après tout ce qui s’est passé, j’ai quand même le droit de savoir !
-
C’est vrai, soupira le jeune homme, Bon par où je commence ?
-
Je sais pas, tu pourrais commencer par m’expliquer comment tu as fait pour tuer tout ces hommes ?
-
Ce n’était pas des hommes, je te l’ai déjà dit je crois.
-
D’accord, c’est bon ça va…”
Il était aussi pointilleux qu’un des professeurs du lycée, et bien plus condescendant qu’aucun de ceux qu’elle avait connu, à l'exception de son professeur d’économie peut être…
“ Pour commencer, je fais partie d’une organisation nommée la Racine.
-
La Racine ? Qu’est ce que c’est ?
-
Et bien notre mission principale est de protéger l’humanité à n’importe quel prix. Par exemple, une de nos principales missions consiste à chasser les damnés comme ceux que tu as vu hier.
-
Tu veux dire que ce genre de chose arrive souvent ?
-
Plutôt oui, mais par contre ce qui s’est passé hier, ça c’était inhabituel. En général, les damnés n’attaquent pas par meute et sont rarement aussi ordonnés.
-
Qu’est ce que tu veux dire ? demanda Irina, de plus en plus inquiète.
-
Ce que je veux dire, c’est qu’il ne s’agissait d’une simple attaque nocturne. Ils en avaient après toi.”
Irina resta un moment sans mot devant cette déclaration. Pourquoi donc des créatures démoniaques voudraient elles s’en prendre à elle ? Elle n’était qu’une fille ordinaire, rien ne la différenciait des autres à part…
“Le jour des larmes, souffla t’elle.
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C’est en effet ce que je pense, reprit il, Ce jour là, il s’est passé quelque chose qui nous a marqué tous les deux. Qui nous a rendus différents, et donc important à leurs yeux.
-
Mais quoi ? demanda t’elle, Je veux dire, je n’ai rien de spécial, contrairement à toi, je ne sais pas me battre, je n’ai rien de particu…”
Irina s’interrompit soudain. Elle se souvint des évènements étranges des derniers jours, de la chambre en flamme, et des inscriptions étranges…
Irina sortit les partitions mystérieuses du sac qu’elle portait en bandoulière. Elle les tendit à Nathaniel qui les prit avec intérêt, les examinant un long moment.
“ Tu sais ce que c’est ? Je les ai écrites il y a quelque jours mais je n’en ai pas le moindre souvenir, c’est comme si ma main avait bougé toute seule.
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Et bien ma chère, cela dépasse mon expertise. Mais je connais quelqu’un qui pourrait peut être comprendre tout ça. Mais pour ça, tu devras me suivre.
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Comme ça, sur un coup de tête ? Je ne voudrais pas te vexer, mais tu n’inspire pas vraiment confiance aux premiers abords.
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Si tu veux découvrir la vérité, tu n’as pas vraiment le choix, d’autant que tu risquerais de te faire attaquer de nouveau si je te laissais ici.”
Malgré ses réticences, Irina dut bien reconnaître la logique de son raisonnement. Elle se décida donc à suivre ce mystérieux jeune homme dans l’inconnu.